11 mai 2020 !
Cette date attendue et espérée nous a été annoncée par l’exécutif deux semaines auparavant, après deux mois de confinement total, nous allions enfin retrouver le droit de sortir, sous certaines conditions, certes mais c’était mieux que rien. Étrangement je repousse le moment de me confronter à la rue, aux gens... après 60 jours d’enfermement, le monde extérieur me paraît hostile, et puis pour aller où ? La digue, les plages n’ont toujours pas l’autorisation d’ouvrir, et faire les magasins serait trop risqué ... La covid-19 n’a pas dit son dernier mot, elle est toujours là, tapie dans l’ombre, guettant sa prochaine proie. De surcroît, le temps maussade n’engage pas à la balade, une petite pluie fine et glacée macule la baie vitrée d’où je regarde les sinistres barrières clôturant l’accès à la mer grise elle aussi, de tristesse sans doute, par manque d’admirateurs... jusqu’aux goélands qui manifestent bruyamment leur impatience de retrouver les humains, privés de quelques chapardages de sandwichs que les promeneurs laissaient un peu à discrétion. Retrouvant leur instinct de chasseurs, ils virevoltent au-dessus des vagues, piquant brusquement sur un poisson imprudent. J’observe aussi les passants dans la rue, sans masque, collés les uns aux autres, main dans la main pour certains, indifférents aux gestes barrières qui imposent une distanciation d’au moins un mètre entre chaque personne. Tout cela n’est pas fait pour me rassurer, et je recule de jour en jour, la témérité de sortir. Enfin on nous annonce l’ouverture vers la mer pour le samedi suivant, levée très tôt comme toujours, j’observe depuis la terrasse l’enlèvement des barricades, en priant, dans le secret de mon cœur, de ne jamais les revoir... On pourrait presque penser que la belle Emeraude a compris, elle s’est parée de sa jolie robe verte, et sa fine dentelle d’écume scintille au soleil. Tous les ingrédients sont réunis pour que je me décide enfin... J’enfile des chaussures de marche, et le cœur battant, je referme la porte d’entrée. Sur le parking je jette un rapide coup d’œil à ma voiture recouverte de fientes d’oiseaux, de toiles d’araignées, on dirait un véhicule abandonné... D’un pas un peu lourd, je me dirige vers la digue, mes jambes sont un peu rouillées par le manque d’activité, et la remise en route est un peu difficile mais l’air iodé me redonnera des forces, le sable humide de la marée descendante s’enfonce légèrement sous mes pas qui laissent leurs empreintes. J’aperçois un peu plus loin le but de ma balade mes chers brise-lames, ces rondins de bois plantés dans le sable pour freiner les humeurs de la mer. Quand on prend le temps de les regarder attentivement on peut voir dessinés sur chacun d’entre eux les traits d’un visage, d’aucuns vous diront que c’est la résultante de l’érosion, moi j’ai toujours pensé qu’ils avaient une âme, et affectueusement je les nomme mes brise-larmes ... ils ont si souvent consolé mes chagrins de petite fille, et mes peines de femme, et Dieu m’est témoin qu’aujourd’hui, j’ai beaucoup de choses à leur dire ... Ce début de déconfinement est un élan vers la liberté retrouvée, mais la prudence devra s’imposer encore longtemps. Je me tiens au courant tous les jours de la situation en Egypte, la covid-19 fait infiniment moins de victimes qu’en France, mais elle est là-bas aussi, hélas... et les restrictions de sorties se mettent en place dans ma deuxième patrie. Le Ramadan ne donne pas lieu à des Iftars communs, et ça me rend infiniment triste, ce fichu virus aura mis le monde à l’arrêt et mis une distance entre nous et nos affections. Mais aussi vrai que le soleil se lèvera demain, nous finirons par avoir raison de lui, et nous reprendrons notre vie là où nous l’avons laissée. C’est le cœur gonflé d’espoir et d’impatience que j’attends une information essentielle pour moi, celle qui annoncera que les espaces aériens sont ouverts. Et je m’envolerai vers toi Masr, heureuse pour la première fois depuis bien longtemps, Insha Allah As sabr...Tahya Masr Ana masriya !